La schistosomiase au Maroc : de sa découverte à l’après-élimination

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Revue

H. Barkia,1 A. Barkia,2 H. Nhammi 2 et D. Belghyti1

داء البلهارسيّات في المغرب: منذ اكتشافه وحتى التخلُّص منه

هشام برقيَّة، عبد العزيز برقيَّة، حادو نهامي، إدريس بلغيتي

الخلاصـة: تحدد هذه الورقة تاريخ داء البلهارسيّات في المغرب والجهود التي بُذِلت للتخلُّص منه. فمنذ اكتشافه لأول مره عام 1914 في مراكش، ظل داء البلهارسيّات خلال عدّة عقود، يشكّل معضلة صحية عمومية في المغرب. وقد انطلق برنامج وطني لمكافحة هذا الداء عام 1982 مما أدى إلى خفض هائل في معدلات الوقوع والوفيات المرتبطة بالمرض. ومن ثَمَّ تحوّل البرنامج من مكافحة المرض إلى عملية انطلقت عام 1994 للتخلُّص منه مُسْتهدفةً اَيَتهِ بحلول نهاية عام 2004، وقد ساعدت هذه العملية في تطهير جميع بؤر الإصابة المعروفة. ويتمثَّل التحدي الحالي في الحفاظ ِرتحقيق التخلُّص من سعلى خلو المغرب من داء البلهارسيّات بحيث يتمّ الإشهاد على ذلك من قبل منظمة الصحة العالمية.

RÉSUMÉ: Le présent article retrace l’histoire de la schistosomiase au Maroc et l’effort mené pour son élimination du pays. Depuis sa découverte en 1914 à Marrakech, la schistosomiase est demeurée durant des décennies un problème de santé publique au Maroc. Un programme national de lutte fut lancé en 1982 et a abouti à une maîtrise de la situation épidémiologique qui a encouragé le passage d’un programme de lutte à un processus d’élimination de la maladie engagé en 1994. Ce processus, dont l’objectif consistait à éliminer la transmission de la maladie à l’horizon 2004, a permis de neutraliser tous les foyers connus. Aujourd’hui, le défi à relever est la consolidation des acquis et la certification de l’élimination par l’Organisation mondiale de la Santé.

Schistosomiasis in Morocco: from discovery to after elimination

ABSTRACT: This paper outlines the history of schistosomiasis in Morocco and the efforts made to eliminate it from the country. Since it was first diagnosed in 1914 in Marrakesh, schistosomiasis remained for decades a public health problem in Morocco. A national control programme was launched in 1982 and it led to a considerable reduction in the incidence and morbidity associated with the disease. Consequently, the programme shifted from disease control to an elimination process launched in 1994. This process aimed to eliminate the disease transmission by the end of 2004 and has helped to clear all known foci. Today, the challenge is to maintain schistosomiasis elimination and to be certified schistosomiasis-free by the World Health Organization.


1Laboratoire de Biologie et Santé, Équipe Parasitologie, Environnement & Biotechnologie de culture in vitro, Unité de formation et de recherche (UFR) doctorale « Parasitologie comparée : applications médicales et vétérinaires », Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, Kénitra (Maroc) (Correspondance à adresser à H. Barkia : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.).
2Direction de l’Épidémiologie et de Lutte contre les Maladies (DELM), Ministère de la Santé, Rabat (Maroc). Reçu : 09/03/10 ; accepté : 03/05/10

EMHJ, 2011, 17(3): 250-256

Introduction

La schistosomiase, ou bilharziose, est l’une des principales maladies transmissibles ayant des répercussions sanitaires et socio-économiques majeures dans les pays en développement[1].

Maladie chronique insidieuse, puisqu’elle touche les hommes et les femmes pendant leurs années les plus productives, elle est particulièrement liée à l’agriculture et aux systèmes de développement des ressources en eau[2].

Au niveau de la Région OMS de la Méditerranée orientale, on distingue deux principaux tableaux épidémiologiques de la maladie : le premier est représenté par un groupe de pays qui enregistrent encore une forte endémicité (Somalie, Soudan et Yémen) ; le deuxième est constitué par un groupe de pays qui ont réduit l’endémicité à un faible niveau ou sont parvenus à l’élimination de la maladie (Arabie saoudite, Égypte, Jamahiriya arabe libyenne, Maroc, Oman, République arabe syrienne, Tunisie[3].

Dans ce tableau, le Royaume du Maroc, pays où la maladie est considérée comme séculaire, est l’un des rares pays à avoir élaboré, exécuté et réussi un processus d’élimination de la maladie. En effet, depuis 2004, on peut considérer que la schistosomiase est devenue un fait historique dans ce pays, puisque l’objectif d’élimination de la transmission de la maladie lancé en 1994 a été atteint. Comment les choses ont-elles donc évolué et comment ce résultat a-t-il été obtenu ?

Pour répondre à cette question, la présente étude rétrospective essaie de relater les principales étapes qui ont marqué l’évolution de la schistosomiase au Maroc, à savoir :

son origine,

sa découverte en 1914,

l’investigation des différents foyers de transmission entre 1929 et 1955,

l’extension de la maladie à partir de 1967,

la préparation du programme national de lutte à partir de 1976,

le processus d’élimination de la maladie  lancé en 1994 et

la gestion de la phase de consolidation.

Origine de la schistosomiase

L’introduction de la schistosomiase au Maroc est encore controversée ; cependant, de La Roncière signale dans une étude qu’au XIVe siècle, des caravaniers traversant le Sahara de Tombouctou (Mali) au Tafilalet(région du Sud du Maroc ayant été connue par ses échanges commerciaux avec l’Afrique sub-saharienne) étaient atteints de « pissement de sang ». Aussi, un interrogatoire des marocains indigènes confirme l’idée de l’existence de la maladie dans le pays depuis longtemps. Ils connaissent parfaitement l’affection et affirment qu’elle sévit « depuis toujours » [4].

L’origine égypto-soudanaise de l’affection est donc probable, d’autant plus que les foyers les plus anciens sont, pour la plupart, situés sur le versant saharien de l’Atlas. De là, il semble que la maladie s’est étendue rapidement pour atteindre le Nord du pays, en passant par le moyen Atlas et le Gharb.

Découverte de la maladie et premières investigations

Dans l’histoire du Maroc, il est connu que le protectorat français et espagnol a été instauré officiellement en 1912. La pénétration des troupes de ces pays européens pour « pacifier » le Maroc s’est heurtée, en plus de la résistance des marocains qui s’opposaient à l’occupation, aux effets néfastes de certaines maladies transmissibles, en particulier le paludisme et la peste mais aussi de nombreuses autres maladies dont la schistosomiase. Cette situation avait poussé les autorités militaires du protectorat à s’investir pour protéger d’abord leurs troupes et leurs campements, et subsidiairement les « indigènes » se trouvant dans les aires de campement des troupes et ce, sous la responsabilité du service de santé de l’armée française. C’est dans ce contexte que Job, un médecin militaire français, publia pour la première fois en 1915 l’analyse de quelques cas de schistosomiase à Schistosoma haematobium, contractés par des militaires européens à Marrakech en 1914 [5]. Peu après fut confirmée l’existence dans cette ville d’un foyer de schistosomiase urinaire. Le fait étant connu, on s’intéressa à la faune malacologique, aboutissant à la conclusion que Bulinus truncatus abonde dans le bassin historique de la Ménara (Marrakech) et dans les canaux d’irrigation traditionnels des aires avoisinantes ­[6]. Le foyer de Marrakech fut considéré par les médecins français durant une longue période comme le seul foyer marocain [7].

 Investigation des différents foyers de transmission entre 1929 et 1955 

En 1929, la maladie a été dépistée en plusieurs autres points du territoire marocain. Dès lors, et plus précisément entre 1931 et 1944, le volume des travaux consacrés à la schistosomiase par les médecins français principalement a été assez important. Ceux-ci signalèrent surtout la présence de la maladie dans les oasis du sud du pays (Tableau 1[8]).

Tableau 1  Chronologie des principaux évènements qui ont marqué la bilharziose au Maroc

On conclura par la suite que seul S. haematobium existe au Maroc, qu’il s’agit d’une maladie séculaire et que son introduction semble résulter des échanges commerciaux qui s’effectuaient depuis des siècles entre le Moyen-Orient, certains pays de l’Afrique noire et le Maroc.

Ces études ont permis d’élaborer une première carte décrivant la propagation de la maladie dans le pays en 1955. Cette carte a montré que la plupart des foyers de transmission étaient situés dans le sud du Maroc, avec d’autres foyers dans les montagnes de l’Atlas et dans la plaine de la partie nord-ouest du pays (Figure1).

 Figure 1 Première carte de la schistosomiase au Maroc
Figure 1 Première carte de la schistosomiase au Maroc  

Extension de la maladie à partir de 1967

Après l’indépendance obtenue en 1956, la priorité donnée au développement du secteur agricole s’est traduite par plusieurs projets de grande et moyenne hydraulique tels que la construction de barrages  et l’aménagement de périmètres pour l’irrigation. La transmission de la schistosomiase s’est alors accrue suite au développement du réseau moderne d’irrigation à ciel ouvert (Figure 2). Ce réseau, a causé, depuis 1967, une extension rapide de la maladie vers des zones jusqu’alors indemnes [9].

 Figure 2 Évolution du nombre de cas de Schistosomiase au Maroc, 1960-1973
Figure 2 Évolution du nombre de cas de Schistosomiase au Maroc, 1960-1973

Programme national de lutte contre la bilharziose (NLB)

Mise en œuvre

La situation épidémiologique de la maladie considérée comme alarmante en 1973 (13  416 cas) a incité le ministère de la Santé à s’investir, trois années plus tard, dans un programme national de lutte. Ce programme a été lancé en 1976 par une phase de préparation qui a duré trois ans, suivie d’une phase de test dans trois provinces pilotes, et ce n’est qu’en 1982 qu’il est devenu opérationnel dans l’ensemble des provinces exposées au risque de transmission de cette maladie (20 provinces) [9].

Stratégie de lutte

La stratégie était basée, depuis le lancement du programme, sur trois principes fondamentaux, à savoir:

l’éducation sanitaire des populations cibles ;

la lutte contre le parasite par des activités de dépistage et de traitement des cas ;

la lutte contre le mollusque hôte intermédiaire (B. truncatus) par des actions physiques et chimiques (utilisation du Bayluscide).

Les objectifs fixés étaient :

d’assurer le contrôle de la maladie dans les foyers connus ;

d’empêcher l’implantation de nouveaux foyers de transmission en zones irriguées.

Réalisations

Après le lancement et la généralisation du programme au niveau de toutes les provinces exposées, le nombre de cas est passé de 6582  en 1982 à 3887 en 1989, avec un pic de 10 645 cas en 1983 [10]. Cette évolution favorable de la situation épidémiologique de la maladie était due pour une grande part aux actions continues du programme de lutte, renforcées en 1987 par l’introduction du praziquantel, médicament très efficace et administré en dose unique.

Entre 1990 et 1993, la tendance à la baisse s’est confirmée avec un nombre de cas dépistés qui est passé de 3487 à 1137 [10]. Une réduction considérable de l’incidence de la maladie et de l’aire touchée a été donc observée.

Processus d’élimination de la bilharziose (PEB)

Les résultats encourageants obtenus ont incité les acteurs du programme, réunis dans le cadre d’un séminaire de formation organisé en 1990, à recommander d’engager la réflexion sur une nouvelle stratégie pouvant aboutir à une meilleure maîtrise de la situation. Les discussions de ce séminaire ont donc généré par la suite deux grandes questions [10] :

faudrait-il continuer à donner au programme national le statut d’un programme de lutte ?

Ou doit-on changer d’orientation en s’engageant dans un processus d’élimination de la maladie ?

Pour répondre à cette question, l’idée dégagée en 1990 a été reprise et entérinée à l’occasion d’une consultation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui s’est tenue en 1992, et qui a étudié avec l’équipe marocaine la faisabilité de l’élimination. Ensuite, un séminaire-atelier fut organisé en 1993 pour élaborer le plan du processus d’élimination. Enfin, la décision de s’engager dans un processus d’élimination a été officialisée lors d’une réunion de consensus présidée par le ministre de la Santé en présence de différents responsables, personnes ressources et partenaires.

Le PEB fut alors lancé en 1994 après information et sensibilisation de tous les partenaires sous le slogan «La schistosomiase est un problème maîtrisable, œuvrons ensemble pour l’éliminer de notre beau pays », l’objectif fixé étant d’intensifier la lutte en vue d’éliminer la maladie de tous les foyers de transmission au terme de l’an 2004.

Depuis le démarrage du PEB, le nombre de cas de bilharziose au Maroc a été en constante réduction. En 1999, 231 cas ont été enregistrés, dont 83 % notifiés au niveau de quatre provinces, et en 2002 ce chiffre a été réduit à 42 cas (Figure 3) (Ministère de Santé, 2003). Parallèlement à la réduction continue de la morbidité, le taux de couverture de la population par les activités de dépistage a connu une augmentation remarquable, passant de 45 % au début du PEB à 55,1 % en 2001[10].

 Figure 3 Évolution annuelle des examens de dépistage effectués et des cas de Schistosomiase enregistrés au Maroc, 1982-2008
Figure 3 Évolution annuelle des examens de dépistage effectués et des cas de Schistosomiase enregistrés au Maroc, 1982-2008

Ce que l’on a remarqué aussi à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, c’est que la tranche d’âge la plus touchée n’était plus celle des enfants d’âge scolaire mais plutôt celle des adultes de plus de 15 ans, ce qui témoigne d’une transmission moins intense par rapport au début du programme. La figure 3 illustre les résultats obtenus en terme de nombre de cas enregistrés et d’échantillons d’urines examinés depuis le début du programme en 1982 jusqu’en 2008.

Phase de consolidation

Depuis 2005, le programme est entré dans la phase de consolidation, qui durera jusqu’à fin 2010, avec à l’ordre du jour  « Soyons aussi vigilants pour consolider nos acquis ». Au cours de cette phase, les activités de surveillance et de lutte sont poursuivies comme auparavant avec cependant une déclaration rapide de tout cas dépisté en vue de mener, si besoin, des actions urgentes de riposte, à savoir :

la chimiothérapie de masse autour de chaque cas autochtone dépisté ;

des actions intensives contre le mollusque hôte intermédiaire.

Les résultats obtenus durant cette phase sont très probants et se résument comme suit:

le maintien de  l’incidence nulle au niveau des foyers de transmission connus, à l’exception de rares cas résiduels et des cas importés de l’étranger ;

la consolidation de  l’arrêt de la transmission dans les anciens foyers.

Aujourd’hui, les choses ont bien évolué et le défi de l’élimination est déjà acquis. La schistosomiase fait déjà partie de l’histoire et l’étape de consolidation semble réussie.

Au vu de ces résultats, les respon-sables concernés au ministère de la santé ont engagé le processus de demande de certification de l’élimination de la maladie auprès de l’OMS.

Conclusion

La schistosomiase reste un problème sanitaire dans plusieurs pays. Au Maroc, après plus d’un siècle de maladie et plus de trois décennies de lutte dans le cadre d’un programme de lutte  puis un processus d’élimination, ce problème est maîtrisé. Plusieurs éléments ont contribué à cette réussite, à savoir :

la stratégie de prévention et de lutte adoptée ;

l’utilisation du praziquantel depuis 1987 ;

l’implication de tous les acteurs dans la lutte ;

le développement socio-économique du pays.

Cependant, l’enjeu reste à pouvoir maintenir ce résultat et éviter une possible réintroduction de la maladie.

Références

  1. Rozendaal JA. La lutte antivectorielle - Méthodes à usage individuel et communautaire. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 1999.
  2. Engels D et al. The global epidemiological situation of schistosomiasis and new approch to control and research. Acta Tropica, 2002, 82:139–146.
  3. Activité de l’OMS dans la Région de la Méditerranée orientale. Rapport annuel du Directeur régional, 1er janvier-31 décembre 2006. Le Caire, Organisation mondiale de la Santé, Bureau régional de la Méditerranée orientale, 2007.
  4. Gaud J. Revue critique des travaux consacrés à la bilharziose vésicale au Maroc. Bulletin de l’Institut d’Hygiène du Maroc, 1951, 11(1/2):69–95.
  5. Job M. La bilharziose au Maroc. Société Médicale des Hôpitaux de Paris, 1915, 3e série, 39-40:1283–1285.
  6. Brumpt E. La Bilharziose au Maroc. Répartition du Bullinus contortus et du Planorbis metidjensis. Étude épidémiologique comparée du foyer tunisien de Gafsa et du foyer marocain de Marrakech. Bulletin de la Société de Pathologie exotique, 1922, 15(7):632–641.
  7. Gaud J. Revue critique des travaux consacrés à la bilharziose au Maroc. Bulletin de l’Institut National d’Hygiène, Maroc, 1952, N° III/2 :69–95.
  8. Barkia H. Évaluation du risque bilharzien au niveau de l’ancien foyer de transmission de la schistosomiase à Schistosoma haematobium du Gharb (Province de Kénitra)  [Mémoire du Diplôme d’Études Supérieures Approfondies]. Kénitra, Faculté des Sciences de Kénitra (Maroc), 2003.
  9. Guide de la lutte contre la schistosomiase. Rabat,  Ministère de la Santé, Direction des Affaires techniques, 1982.
  10. Rapports annuels d’activités. État d’avancement des programmes de lutte contre les maladies parasitaires, années 1982 à 2002. Rabat, Ministère de la Santé, Direction de l’Épidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Division des Maladies transmissibles, Service des Maladies parasitaires, 1982-2002.